Le défaut d’aviser du risque – Saviez-vous que le produit Lysol Advanced peut causer la corrosion?
Faites-vous partie des millions de Canadiens qui achètent et utilisent le très populaire produit bleu Lysol Advanced? Non seulement tue-t-il 99.9% des bactéries, il corrode de plus le métal. Il y a fort à parier (ou du moins à espérer) qu’après avoir lu cet article, vous n’entreposez plus votre produit Lysol Advanced sous votre évier…
Dans La Capitale assurances générales inc. c. Construction McKinley inc., 2023 QCCS 419, Martin Tremblay et Annie Thibault ont acquis un terrain en 2012, et ont retenu les services d’un entrepreneur général, McKinley, pour faire construire leur maison. Ils ont choisi une robinetterie de marque Rubi directement chez le fournisseur, Céramique Décor, qui l’a vendue à McKinley, qui l’a ensuite revendue à Martin Tremblay et Annie Thibault.
Pendant des années, Martin Tremblay et Annie Thibault utilisaient le produit Lysol Advanced pour nettoyer la cuve de toilette. Ce produit était rangé (vous le devinerez) dans les armoires sous l’évier de la salle de bain. Or, le 12 février 2017, le tuyau flexible métallique situé sous le lavabo s’est rompu, causant des dommages de l’ordre de 137 000$. Tous les experts s’entendaient sur la cause de la défaillance : la corrosion causée par les émanations de chlore provenant du Lysol Advanced. En effet, Lysol Advanced contient 12% d’acide chlorhydrique, et des vapeurs peuvent s’échapper si le bouchon n’est pas bien fermé.
L’assureur de Martin Tremblay et Annie Thibault a déposé une poursuite contre McKinely, Céramique Décor et le fabricant de Lysol Advanced, Reckitt Benckiser. Le jugement a été rendu le 14 février 2023 par l’Honorable juge Alain Michaud de la Cour Supérieure, et est intéressant à de nombreux égards :
- McKinley n’a pas été tenu responsable. Bien que McKinley ait vendu la robinetterie, McKinley n’est pas un vendeur professionnel de robinetterie. McKinley est un vendeur professionnel de maisons, et ne garantit pas, par le biais de la vente de la maison, tous et chacun des accessoires qui sont installés à l’intérieur de la maison.
- Céramique Décor n’a pas été tenue responsable pour la défaillance comme telle de la robinetterie, car il n’a pas été établi que la robinetterie était défectueuse. Toutefois, Céramique Décor avait remarqué un nombre élevé de défaillances concernant la robinetterie Rubi, et avait même commencé à les répertorier. Céramique Décor avait conclu qu’il y avait une incompatibilité entre la robinetterie Rubi et les produits chimiques. Bien que Céramique Décor ait tenté d’aviser les clients futurs en ajoutant un avertissement dans la boîte des produits Rubi, Céramique Décor n’a rien fait pour tenter d’aviser les anciens clients qui avaient déjà acheté la robinetterie. Pour cette raison, Céramique Décor a été tenue responsable à la hauteur de 25%, pour défaut d’aviser du danger.
- La Cour a conclu que Reckitt Benckiser devait assumer la plus grande part de responsabilité, soit 75%, puisque le risque de corrosion n’était indiqué nulle part sur leur produit. Leur argument voulant que Martin Tremblay et Annie Thibault aient fait défaut de bien refermer le bouchon de façon hermétique n’a pas convaincu la Cour, puisque Reckitt Benckiser n’a pas indiqué sur son produit le risque de corrosion que cela peut entrainer. Reckitt Benckiser n’a pas non plus convaincu la Cour que Martin Tremblay et Annie Thibault aient fait défaut d’inspecter la robinetterie de façon périodique, puisque pratiquement personne ne fait jamais une telle inspection.
En conséquence, face à l’assureur de Martin Tremblay et Annie Thibault, Céramique Décor et Reckitt Benckiser ont conjointement et solidairement été condamnés de rembourser 100% des dommages; toutefois, pour valoir entre eux, leurs parts de responsabilité ont été établies à 25% et 75% respectivement.
Cher fabricant: Avez-vous tardé à rappeler votre produit? Si oui, cela pourrait vous coûter cher
Dans l’arrêt CCI Thermal Technologies Inc. c. AXA AL (XL Catlin), 2023 QCCA 231, la Cour d’appel a considéré quel devait être le partage de responsabilité entre le fabricant d’un produit fini et le fabricant d’une composante. Le litige impliquait des chaufferettes vendues et assemblée par Stelpro, Dinplex et Ouellet, qui incorporaient toutes un élément chauffant fabriqué par CCI Thermal. Plusieurs éléments chauffants avaient fait défaut, projetant des particules incandescentes et allumant des incendies. Stelpro, Dimplex, Ouellet et CCI Thermal avaient réglé avec les victimes, mais ne s’entendaient pas quant au partage devant intervenir entre elles.
En Cour supérieure, CCI Thermal avait seule était tenue responsable à 100%. CCI Thermal était consciente du risque d’incendie depuis une vingtaine d’années, mais n’avait jamais dévoilé ce risque aux fabricantes des chaufferettes. En Cour d’appel, la Cour a noté qu’il y avait lieu d’examiner la faute respective des fabricantes des chaufferettes, selon les mesures qu’elles avaient prises pour avertir les consommateurs, une fois au fait du risque d’incendie. Ainsi :
- Dimplex a découvert le vice caché affectant les éléments chauffants en 2007. Dimplex a pris des mesures pour récupérer l’inventaire pas encore vendu; toutefois, elle n’a pas jugé utile de procéder à un rappel public.
- Stelpro a découvert le vice caché affectant les éléments chauffants le 23 mars 2007. Elle a fait un rappel public massif en septembre 2009.
- Ouellet a découvert le vice caché affectant les éléments chauffants 14 novembre 2007. Elle a néanmoins continué d’acheter des éléments chauffants de CCI Thermal. Ouellet a commencé à faire un rappel public uniquement une fois que Stelpro avait procédé à un rappel public. Le rappel public de Ouellet a principalement eu lieu à l’hiver 2010.
La Cour d’appel a conclu que les fabricantes des chaufferettes devaient assumer une responsabilité à hauteur de 20% pour tous les incendies survenus durant la période entre laquelle elles avaient acquis connaissance du vice et la date à laquelle elles avaient fait un rappel public. CCI Thermal demeure 80% responsable pour ces incendies. Par la suite, une fois les rappels publics effectués, CCI Thermal est seule responsable à 100%. Ainsi, puisque Dimplex n’a jamais fait de rappel, elle a été tenue responsable de 20% des dommages causés par tous les incendies impliquant les chaufferettes Dimplex. Quant à Stelpro et Ouellet, leur responsabilité de 20% s’est terminée en septembre 2009 et à l’hiver 2010 respectivement. Tel qu’indiqué par la Cour d’appel :
« [135] La responsabilité de CCI doit par ailleurs demeurer prédominante, soit 80 %, vu la gravité cumulée du vice affectant ses éléments et de son omission de le divulguer aux manufacturiers en temps opportun. (…)
[136] Ainsi, comme on l’a vu, les manufacturiers ne peuvent être absous de toute responsabilité au motif que c’est le vice affectant les éléments chauffants fabriqués par CCI qui constitue la genèse des incendies. Une saine politique judiciaire exige qu’en l’espèce les manufacturiers répondent de leur omission ou retard à agir après avoir pourtant acquis connaissance de ce vice. Les tenir indemnes de toute responsabilité malgré la preuve au dossier équivaudrait à encourager tout autre manufacturier placé dans les mêmes circonstances au laissez-faire et à l’attentisme fautif. »
Les programmes de rappel risquent fort d’être scrutés à l’avenir, afin de déterminer la part de responsabilité entre les différents fabricants impliqués.
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